Perspectives sur le paludisme grave au Nigeria : éclairages du docteur Olugbenga Mokuolu

Le professeur Olugbenga Mokuolu est pédiatre et directeur technique du Programme national d’éradication du paludisme du Nigeria. Il était responsable technique de l’élaboration de la 4e version des Directives nationales en matière de diagnostic et de traitement du paludisme, publiées en 2020.

Il a été interviewé par l’équipe du Severe Malaria Observatory (l’observatoire du paludisme grave) pour donner des éclairages sur le paludisme en général et souligner quelques aspects du paludisme grave.


Au cours des 3 dernières années, comment le contrôle général et le traitement du paludisme ont-ils évolué ?

« En 2015, la prévalence du paludisme de notre pays s’élevait à 27 % selon le Malaria Indicator Survey [l’enquête sur les indicateurs du paludisme] ; en 2018, le Demographic and Health Survey [l’enquête démographique et de santé] indiquait une prévalence de 22 %. Cette baisse est plus limitée si nous comparons avec les 42 % de 2010. Il est toutefois normal d’observer une chute plus importante lorsque la prévalence est à son niveau le plus élevé, puis de voir la courbe commencer à s’aplatir. Il faut alors prendre des mesures supplémentaires pour que les chiffres baissent davantage.

« Au cours des 3 dernières années, nous avons donc déployé des moustiquaires à imprégnation durable [MID], qui constituent la pierre angulaire de notre contrôle au Nigeria. Les nouvelles technologies ont permis d’améliorer notre distribution. Conséquence : le taux de rétention des MID avoisine les 98 %. Nous avons également déployé des tests de diagnostic rapide, des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine [CTA] pour le traitement des cas de paludisme simple ainsi que l’injection d’artésunate en cas de paludisme grave.

« La chimioprévention du paludisme saisonnier [CPS] est une autre évolution majeure. Dans le pays, 21 États enregistrent 60 % de leurs précipitations en 4 mois, et sont considérés comme admissibles à la CPS. Nous avons connu en 2020 la plus grande expansion de la CPS dans 10 de ces 21 États, avec quatre cycles de CPS à chaque tour. Elle a ainsi touché environ 12 millions d’enfants de moins de 5 ans. C’est une grande réussite.

« Nous avons réalisé de beaux progrès, mais obtenir des financements a été un défi. Le soutien du Fonds mondial ne couvre qu’un tiers des besoins du pays, et les fonds accordés par la PMI [President’s Malaria Initiative] couvrent environ un tiers également. Pour couvrir le dernier tiers du pays, soit 13 États, nous avons obtenu un prêt de la Banque mondiale pour financer les interventions relatives au paludisme dans 6 États et un financement de la Banque islamique de développement pour 5 États. Nous comptons donc actuellement deux États qui ne bénéficient d’aucun soutien financier. Il a fallu beaucoup de temps pour régler la situation, mais les approbations nécessaires ont été obtenues et les progrès se poursuivent pour que le déploiement des interventions dans ces États puisse commencer au premier trimestre 2021. »

Quelle est l’approche actuelle de la gestion des cas de paludisme simple et grave au Nigeria ?

« Notre approche fondamentale est de tester, traiter et assurer le suivi.

« Nous encourageons le diagnostic avant traitement, le traitement du paludisme simple par CTA et le traitement du paludisme grave par injection d’artésunate suivie d’une CTA. Et nous faisons appel à la chimioprévention chez les femmes enceintes dans le cadre du TPI [traitement préventif intermittent au cours de la grossesse] par sulfadoxine-pyriméthamine.

« Nous venons de sortir la 4e édition des Directives nationales en matière de diagnostic et de traitement du paludisme. Lors de son élaboration [dirigée par mon équipe], nous avons effectué une mise à jour des preuves et mené des recherches sur l’efficacité thérapeutique, tout en surveillant les réactions aux CTA. Nos recherches sont réalisées de manière à ce que les résultats d’un seul site soient représentatifs et que nous puissions tirer des conclusions scientifiques à partir de ce site plutôt que d’avoir à attendre les résultats de tous les sites. Nous avons clôturé trois sites en 2018 et les résultats ont indiqué que les CTA présentaient des taux d’efficacité de plus de 95 %. L'étude de 2020 a été clôturée et est actuellement en cours d’analyse.

« Nous avons donc obtenu une série continue de preuves qui viennent soutenir les recommandations. Cela signifie que nous avons été en mesure d’intégrer deux nouvelles CTA, la pyronaridine-artésunate et la dihydroartémisinine-pipéraquine, aux nouvelles directives de traitement. Elles s’ajoutent aux deux déjà utilisées, l’artéméther-luméfantrine et l’artésunate-amodiaquine, et nous avons décrit dans quel ordre la priorité devait leur être donnée. »

« En ce qui concerne le paludisme grave, notre approche de gestion consiste en : la détection précoce et le traitement pré-transfert dans des établissements de santé de niveau inférieur ; le diagnostic rapide et la mise en place d’un traitement antipaludique spécifique à base d’artésunate par injection ; soins de soutien en cas de complications potentiellement mortelles ; et le suivi et l’évaluation des progrès ou séquelles des patients. À leur sortie de l'hôpital, nous essayons de renforcer la prévention du paludisme. Récemment, les établissements de santé tertiaires et secondaires ont été mieux ciblés et nous avons effectué un examen rétrospectif en revenant 5 ans en arrière sur la situation relative au paludisme grave dans le pays. Le but était de mieux comprendre les pratiques actuelles et d’apporter une réponse adaptée. »

Comment la pandémie de COVID-19 a-t-elle influencé la gestion du paludisme au Nigeria, en particulier du paludisme grave ?

« Le COVID-19 était une réelle inconnue à son arrivée, puis le confinement mondial a été mis en place de mars à août. Cela a eu des conséquences sur notre chaîne d’approvisionnement et l’utilisation des établissements de santé. Et nous avons dû faire face à la peur et à la stigmatisation liées aux symptômes fiévreux semblables au COVID et au paludisme. Cela a posé des défis supplémentaires aux services hospitaliers vu la hausse de la demande.

« Étant donné que nous ne pouvions plus rencontrer de la population en personne, les activités prévues étaient menacées. Nous l’avons remarqué rapidement, nous avons effectué une évaluation des risques et élaboré un plan de continuité des activités. De nombreuses réunions et formations et la planification de nos activités ont eu lieu en ligne.

« Pour certaines activités clés comme le Malaria Indicator Survey, nous avons établi une matrice des risques pour examiner les activités nécessaires, ce qui était faisable et ce qui ne l’était pas. Et nous avons élaboré des scénarios basés sur différentes dates de fin potentielles du confinement. Sur la base de cette matrice de risques, nous avons décidé de repousser notre prochaine enquête à 2021.

« Mais, pour la CPS, nous n’avions pas le luxe de choisir le moment de mise en œuvre puisque la maladie est saisonnière. Nous avons donc organisé nos réunions à la fois en ligne et, en les limitant à un nombre minimum, en personne au niveau local pour planifier la CPS. Nous avons examiné toutes les activités et adopté des protocoles de prévention du COVID-19. Dans un cas, nous avons combiné la microplanification de la CPS et de la campagne de distribution de MID parce qu’elles se déroulaient en même temps dans l’un des États. Étant donné la taille du Nigeria, nous ne pouvons pas distribuer les MID dans tout le pays en une année donnée. Nous devons nous y prendre par rotation, dans le cadre de campagnes de masse tournantes, allant d’un État à l’autre. Nos campagnes de masse relatives à la CPS et aux MID ont connu de grandes réussites. Pour la CPS, nous avons touché plus de 12 millions d’enfants en 4 cycles d’administration de masse du médicament. Les expériences de cette année nous ont permis d’en apprendre beaucoup et il s’agit probablement de la campagne CPS la plus réussie à ce jour.

« Nous avons également combiné nos messages au sujet du COVID et du paludisme. Par exemple, lorsque nous avons célébré la journée mondiale de lutte contre le paludisme, notre slogan était le suivant : « Cette fièvre, c’est peut-être le paludisme, faites-vous tester ». À un moment où tout le monde pensait qu’avoir de la fièvre signifiait forcément que c’était le COVID, nous encouragions à se faire tester pour le paludisme.

Quels sont vos projets pour 2021 ?

« Nous nous attendons à avoir, à partir de 2021, un programme passionnant. De nombreuses évolutions ont eu lieu, les pièces du puzzle s’assemblent. Le pays s’approprie l’initiative de riposte contre le paludisme « D’une charge élevée à un fort impact » de l’OMS.

« Notre équipe a une grande expérience, nous avons renforcé nos outils de suivi et de surveillance, et nous avons un nouveau plan stratégique qui sera mis en œuvre à partir de 2021–25. Ce plan a été développé sous forme de procédure inclusive, alimentée par un exercice de stratification qui nous a aidés à recalibrer nos objectifs et notre analyse de scénarios en fonction des interventions couvertes.

Nous utilisons des plateformes de rapportage spécifiques pour rassembler les données provenant des établissements de santé secondaires et tertiaires afin de nous assurer que les données sur le paludisme grave de tous les établissements de santé soient encodées dans DHIS2 [District Health Information Software 2]. Nous continuerons à interagir avec ces institutions pour optimiser la gestion du paludisme grave par le biais d’infrastructures de soins de soutien et la mise en place de mécanismes tout au long de la chaîne d’approvisionnement visant à limiter les ruptures de stock d’artésunate injectable.

Nous connaissons toujours des lacunes, comme la difficulté d’accès aux informations du secteur privé et le manque d’interventions dans les États non couverts. Nous interagissons donc avec le secteur privé et, grâce à de nouveaux financements, nous sommes en mesure de couvrir les États restants.

Le paludisme est relégué au rang de maladie touchant les personnes faibles et vulnérables de la société. Un engagement en termes de ressources et d’efforts est nécessaire en vue de progresser davantage. Nous devons nous assurer que le paludisme est toujours considéré comme une maladie préoccupante et que nos gouvernements s’engagent à en faire baisser la prévalence. »

Informations stratégiques et utilisation des données dans la lutte contre le paludisme au Nigeria

Image: : Informations stratégiques et utilisation des données dans la lutte contre le paludisme au Nigeria

Veuillez noter l’intégration de différents types de données (incidence, prévalence, TMM5, éligibilité à la CPS, zones urbaines et résistance aux pyréthroïdes). La colonne de droite indique les projections de la prévalence du parasite en fonction de la mise en œuvre des mesures adoptées.