Prof. Arjen Dondorp : le traitement du paludisme grave

Q : Qu’est-ce que le paludisme grave ?

AD : Le paludisme est une maladie provoquée par un parasite appelé Plasmodium qui vit dans les globules rouges. Il existe quatre espèces de Plasmodium pouvant infecter l’homme, et une autre espèce qui passe facilement du singe à l’homme. Parmi ces cinq 5 espèces, Plasmodium falciparum est celle qui provoque le plus souvent une maladie grave chez les patients qui ne sont pas immunisés contre la maladie. Le paludisme peut évoluer en quelques jours en une maladie très grave touchant de nombreux organes vitaux, tel que le cerveau provoquant alors un coma ou un paludisme cérébral, les reins provoquant alors une insuffisance rénale, ou les poumons provoquant alors une insuffisance respiratoire. Il peut aussi provoquer une acidose métabolique, une anémie sévère, et la mort. Cette maladie nécessite vraiment un traitement d’urgence.

Q : Le paludisme est-il différent en Asie du Sud-Est et en Afrique, et est-il différent au Cambodge et en Thaïlande ?

AD : Oui, le paludisme d’Afrique subsaharienne est différent de celui d’Asie car la transmission de la maladie est beaucoup plus intense en Afrique qu’en Asie. Dans de nombreuses régions d’Afrique, un enfant se fait piquer une fois par jour, et parfois plusieurs fois par jour par un moustique infecté qui transmet le parasite responsable du paludisme. Si l’enfant ne meurt pas de la maladie, il développe une immunité au cours des premières années de sa vie, ce qui explique pourquoi le paludisme grave est très rare après l’âge de 5 ans. Par contre en Asie, les personnes sont piquées une fois par an par un moustique infecté et elles n’ont donc pas le temps de développer une immunité, ce qui explique que la maladie apparaît chez de jeunes adultes, ou des personnes de tous âges. Ceci explique aussi pourquoi les manifestations de la maladie sont légèrement différentes chez les adultes, qui peuvent développer un paludisme cérébral et une acidose métabolique, mais aussi une insuffisance rénale ou une insuffisance pulmonaire, tandis que les enfants développent souvent un coma et une acidose, et l’anémie chez eux est souvent plus sévère que chez les adultes. Quant à votre question sur une différence spécifique entre le Cambodge et la Thaïlande : ce sont des régions à faible transmission et le paludisme grave touche donc plutôt les jeunes adultes. Pour des raisons que nous ne comprenons pas bien, la résistance aux médicaments antipaludiques a tendance à démarrer dans cette région du monde, et le traitement du paludisme y est en général plus difficile.

Q : Quels sont les axes de recherche les plus importants développés depuis 5 à 10 ans ?

AD : Il y a beaucoup de travaux de recherche en cours sur le paludisme grave et nous comprenons de mieux en mieux les mécanismes de la maladie – ou pourquoi le paludisme peut devenir une maladie si grave chez l’enfant ou l’adulte. L’accent est davantage mis sur les décès. Les vraies modifications se situent sur les plus petits vaisseaux sanguins des patients, obstrués par des amas de globules rouges contenant les formes matures du parasite. Ces globules rouges deviennent très collants et adhèrent à la paroi interne des petits vaisseaux sanguins, bloquant ainsi mécaniquement l’écoulement sanguin. Ce processus active aussi l’endothélium, ce qui déclenche une foule d’autres effets secondaires. Les traitements visent à tuer les parasites à un stade précoce pour qu’ils ne puissent pas évoluer vers les formes matures, devenir collants et obstruer les petits vaisseaux sanguins. Il existe de nouveaux traitements, dits adjuvants, administrés en plus des médicaments antipaludiques et qui ciblent spécifiquement ce mécanisme de cyto-adhérence.

Q : Quels sont les traitements les plus prometteurs ?

AD : Nos travaux de recherche depuis quelques années sont focalisés sur des médicaments antipaludiques plus puissants pour tuer les formes immatures du parasite, les dérivés de l’artémisinine. Nous avons testé un dérivé spécifique appelé artésunate qui peut être administré directement dans la circulation sanguine. Ce médicament est très efficace pour traiter le paludisme grave. Nous avons effectué des études à très grande échelle, qui ont montré que, comparé à l’ancien traitement avec la quinine, l’artésunate réduit la mortalité liée au paludisme grave de 35% chez les adultes, et de 23% chez les enfants africains. Cet avantage est considérable.

Q : Pourquoi votre axe de recherche est-il si important ? Pourquoi devrions-nous investir dedans ?

AD : Le paludisme reste un problème majeur. La lutte contre le paludisme a été très efficace au cours des dix dernières années et la mortalité liée au paludisme dans le monde a baissé. Néanmoins, un million de personnes, principalement des enfants africains, meurent chaque année du paludisme et l’impact de cette maladie reste très élevé. Nous avons toujours besoin de meilleurs traitements pour réduire ce taux de mortalité élevé, et nous devons élucider des aspects importants de la pathogénie de cette maladie pour pouvoir développer des meilleurs traitements.

Q : Comment s’inscrivent vos travaux dans la médecine translationnelle du département ?

AD : Nos travaux comportent de nombreux aspects translationnels. Ils commencent souvent au laboratoire, où nous utilisons des modèles pour découvrir de nouveaux traitements. Ensuite il faut tester ces nouveaux médicaments sur le terrain. Une fois que leur efficacité a été démontrée, ils doivent être adaptés aux conditions du terrain où ils seront effectivement utilisés. Ensuite, il est important de les inclure dans des directives, telles que les directives de l’OMS concernant le traitement du paludisme grave - comme cela a été le cas pour ce nouveau médicament artésunate. Il est aussi important d’améliorer les soins de base pour les enfants et les adultes atteints de paludisme grave. Nous avons aussi mis en place des programmes de formation avec des stratégies de mise en œuvre structurées efficaces et peu coûteuses, afin de pouvoir les utiliser dans des milieux où les ressources sont limitées. Grâce à toutes ces mesures, nous espérons améliorer la survie de ces personnes atteintes de paludisme grave.